L’écho des campagnes

L’écho des campagnes : Témoignages d’enfants appartenant à des communautés de producteurs d’aliments

1 – Philippines

Elsa Novo, présidente du NKP (Aeta Womens Federation) et Fernando Luis, directeur régional du Peoples Development Institute (PDI) ont mené des interviews basés sur trois questions (1) Quels sont vos plats préférés; (2) Quelles tâches dans la production alimentaire aimez-vous le plus?; (3) Quels sont les jeux et endroits préférés pour jouer et s’amuser? Ils ont interrogé 10 enfants autochtones Aeta à Zambales, âgés entre 7 et 13 ans, 5 garçons et 5 filles respectivement.

Mlle Elsa Novo, présidente de la Fédération des femmes des peuples autochtones Aeta dans l’est du Barangay du Mont Pinatubo, Municipalité de Botolan a animé l’atelier sur les dessins, tandis que Fernando Luis a noté les réponses lors des interviews.

Parmi les dix enfants, six d’entre eux ont indiqué aimer les plats de viande philippins comme le porc sinigang, le porc adobo et le poulet adobo tandis que les quatre autres ont dit aimer les fruits et les plats de légumes philippins comme le pinakbet, le kare-kare et autres.

A la deuxième question, concernant les activités agricoles, quatre enfant ont répondu aimer planter des légumes, des tubercules et des légumineuses, deux ont dit aimer arroser les plantes et les deux autres préferer le désherbage. Un enfant Aeta a précisé aimer labourer et l’autre travailler en jachère.

Sur la question des jeux, trois d’entre eux ont dit aimer jouer au basketball et au badminton. Sept enfants Aeta ont indiqué aimer les jeux traditionnels comme le cache-cache ou encore le jeu de l’élastique chinois.

2 – Colombie

Je m’appelle Juan Simón Briceño Ávilaet j’ai 7 ans. Je viens de la ville de Barinitas au Venezuela. Maintenant nous habitons dans un petit village appellé Brasil à Viotá, Cundinamarca en Colombie. Nous habitons à la campagne et ça me plait de vivre ici, parce que je suis libre de me promener et jouer. Mon jeu préféré est les garçons superhéros, et je joue au football avec mes amis de l’école. Mon plat favori est la salade d’œuf, avec de la laitue et des carottes. Les œufs viennent des poules qu’on garde dans le poulailler derrière la maison. Les laitues viennent de graines qu’on plante dans notre potager, et les carottes viennent aussi de graines qu’on plante dans notre potager. Les laitues sont prêtes à être cueillies quand elles sont bien grosses et ont beaucoup de feuilles, et les carottes sont prêtes quand elles ont de grandes feuilles et la tige fait surface (le collet de la carotte). J’aime cette salade parce que je sais comment la préparer, mais comment je la prépare est un secret. Pour les tâches à la maison, j’aime donner le maïs aux poules, mais il y a des fois où en allant chercher les œufs je les fais tomber, et parfois ils se cassent. Je nourris aussi les lapins. Nous avons deux lapins : Ramona et Pepe. Ramona a un bon caractère mais Pepe n’aime pas être câliné. Ils aiment beaucoup les feuilles d’une plante qu’on appelle l’Oseille Crépue, mais il y a une autre plante qu’on ne leur donne pas parce que ce n’est pas bon pour eux. Ses feuilles sont plissées et vert foncées. Je plante aussi du maïs doux et des haricots avec ma maman. Les deux sont multicolores, comme un arc-en-ciel, et je plante des pommes de terre avec mon papa et mon petit frère Martin. Nous aimons planter plein de choses différentes, comme ça nous avons toujours des choses à manger.

3 – Espagne

Je m’appelle Salome Schranz Moreno et j’ai 12 ans. Je vais à l’école Doce Olivos d’Orgiva à Alpujarra (Grenade, Andalousie). Ma famille et nos amis allons travailler notre jardin dans un projet de potager collectif. Il y a quelques jours, nous y sommes allés pour une raison particulière : des mauvaises herbes avaient poussé dans le potager et nous empêchaient de planter. Alors nous avons décidé d’y faire une « torna peón »   pour accélérer les choses. J’ai pris en charge les enfants parce qu’ils ont tous entre 3 et 6 ans, et moi j’ai 12 ans.

Pendant que les mamans et papas se sont mis à désherber, je me suis occupée des petits. Je leur ai d’abord raconté des histoires et ensuite nous sommes allés dans un parc pas loin. Nous avons joué, ri et nous sommes bien amusés. L’heure du dîner a fini par arriver. Nous sommes retournés au potager pour manger. Il y avait une omelette et toutes sortes de plats avec des légumes. Nous avons mangé, et en avons bien profité.

Nous allons aussi à ce potager pour faire d’autres choses, comme semer et planter. Ma maman, mon papa, nos amis Yvon et Raúl, mon frère et moi sommes allés récolter des olives, même mon frère qui a 3 ans. Quand nous récoltons, nous le faisons de 10 heures le matin jusqu’à 17 ou 18 heures le soir. Dee 10h à 10h30, nous préparons le filet. De 10h30 à 13h30, nous récoltons. De 13h30 à 14h30 nous nous reposons et mangeons et enfin de 15h à 17 ou 18h nous continuons à récolter. Après plusieurs jours, nous amenons les olives au pressoir et ensuite nous partageons l’huile.

El torna peón : quand quelqu’un offre de l’aide à un ami sur leur potager ou ferme, et après avoir était aidé, l’ami offre à son tour son aide à ses compagnons.

L’écho des campagnes 2

Allaitement et souveraineté alimentaire pour les nourrrissons et jeunes enfants – expérience en Inde

Dr. JP Dadhich MD, FNNF[1]

La Stratégie mondiale pour l’alimentation du nourrisson et du jeune enfant recommande l’allaitement exclusif pendant les six premiers mois de la vie et l’allaitement maternel pendant un minimum de deux ans en complément d’une alimentation adaptée après six mois. L’allaitement maternel est une méthode durable et souveraine pour apporter nourriture et nutrition aux nourrissons et jeunes enfants, essentiel à la survie, à la santé et au développent des enfants et à la santé de leurs mères.

En Inde, environ 25 millions de bébés naissent chaque année et seulement 41.6% d’entre eux sont allaités dans l’heure suivant la naissance. Par ailleurs, 54.9% des nourrissons de moins de six mois sont exclusivement allaités et seulement 67.5% des enfants sont encore allaités à 20-23 mois[2]. Cela veut dire qu’une large proportion d’enfants de moins de deux ans sont privés de leur droit de recevoir une source d’alimentation souveraine et sont dépendant de produits fabriqués et commercialisés. Ceci est particulièrement sérieux pour les enfants de mois de six mois pour qui le lait maternel est le seul aliment recommandé.

La raison sous-jacente de la condition déplorable des pratiques en matière d’allaitement est une action extrêmement lente ces dix dernières annéessur diverses politiques et programmes relatifs à l’alimentation des nourrissons et jeunes enfants. Le rapport du World Breastfeeding Trends Initiative (WBTi)[3]met en évidence la nécessité de mettre en œuvre la loi pour la protection effectivede l’allaitement maternel (Acte IMS[4]), de rendre universel la protection de la maternité, d’offrir l’accès à des services de conseil sur l’allaitement par des professionnels formés et qualifiés à toutes les femmes enceintes et allaitantes, y compris lors de circonstances exceptionnelles telles que urgences et VIH, ainsi qu’un système efficace de contrôle et d’évaluation des programmes d’allaitement.


[1] Directeur – Technical, Breastfeeding Promotion Network of India (BPNI) et membre, International Baby Food Action Network (IBFAN) Global Council.

[2] Plus d’info ici (en anglais) et ici (en anglais).

[3] Plus d’info ici (en anglais)

[4] The Infant Milk Substitutes, Feeding Bottles and Infant Foods (Regulation of Production, Supply and Distribution) Act, 1992 as Amended in 2003 (IMS Act).

Encadres

Encadré 1

Lutter contre l’impact de la publicité des grandes entreprises agroalimentaires sur la santé des enfants en Colombie

Les enfants sont considérés comme un créneau lucratif pour les grandes entreprises agro-alimentaires responsables de la production de produits alimentaires ultra-transformés, c’est-à-dire à forte concentration en sucre, sel et graisse. Ces produits ainsi que les boissons sucrées ont été l’une des principales raisons du nombre croissant de cas de diabète et d’obésité chez les enfants et les adolescents du monde entier. En Colombie, 15,7 % des enfants âgés entre 5 et 17 ans souffrent de surpoids. Certaines provinces, comme les îles San Andrés, affichent des taux proches de 30 %, ce qui les place à des niveaux comparables à ceux du Mexique, le pays connu pour avoir les taux d’obésité infantile les plus élevés du monde.

La pandémie d’obésité chez les enfants s’est développée à un rythme très rapide en Colombie: les entreprises considèrent les enfants et les adolescents comme de simples consommateurs de produits pauvres en nutriments. 96 % de toute la publicité destinée aux enfants dans l’une des grandes chaînes de télévision colombiennes vante les mérites de la malbouffe (étude réalisée en 2012). A travers ces canaux, les entreprises ciblent le jeune public via des campagnes publicitaires agressives, en particulier par la télévision, Internet et les panneaux publicitaires à proximité des écoles.

L’association colombienne de parents « Red Papaz » et FIAN Colombie en coopération avec Educar Consumidores, Vital Strategies et Global Health Advocacy Incubator ont donc développé une vaste campagne à travers le pays, intitulée « Arrêtez de manger des mensonges; ne les donnez pas à vos enfants ». Cette campagne souligne:

1) que les enfants ne sont pas seulement des consommateurs, mais avant tout des détenteurs de droits protégés par la Constitution colombienne;
2) que la pandémie d’obésité n’est pas le résultat de mauvais choix de vie individuels, mais plutôt le résultat de choix systémiques favorisant un régime alimentaire qui sert les intérêts commerciaux des grandes entreprises.
En ce sens, la campagne exhorte l’Etat colombien à totalement interdire la publicité pour la malbouffe destinée aux enfants et à transformer le système agroalimentaire existant en adoptant l’agroécologie et la réalisation de la souveraineté alimentaire.

Encadré 2

Les enfants et la pêche, dans la communauté Katosi

« Bien que le petit port de pêche de Katosi, dans le district de Mukono, en Ouganda central, soit devenu un port commercial destiné à l’exportation du poisson, le volume des activités du port a diminué au fil des ans. Je me souviens encore clairement, quand j’étais enfant, de l’animation qui régnait dans ce pôle commercial. Le lever du soleil sur des rives du lac le baignait dans une lumière dorée. Entre 9 et 12 heures du matin, l’endroit s’animait de plus en plus, avec l’arrivée des bateaux débarquant leur poisson, des femmes venant des ateliers de transformation et des commerçantes de tout le pays se pressaient sur le quai pour acheter du poisson frais. Ma mère avait le droit de pêcher sur le quota quotidien de ses deux beaux-fils pêcheurs. Le poisson était notre nourriture quotidienne, mangé sous toutes les formes, formes et tailles, tandis que, le soir, tout le village baignait dans l’arôme du poisson entrain d’être fumé. » Margaret Nakato, coordonnatrice du Katosi Women Development Trust et directrice exécutive du Forum mondial des pêcheurs (WFF).

L’étude de base récemment menée par le KWDT sur les communautés de pêcheurs révèle que les enfants constituent plus de 54% de la population totale des communautés de pêcheurs (Rapport de base du KWDT pour le lancement du projet, 2017). L’accès à du poisson en quantité suffisante pour la consommation au niveau des ménages est essentiel pour répondre aux besoins alimentaires des enfants. Cependant, l’accès réduit aux zones de pêche et aux ressources halieutiques, conjugué à l’exportation du poisson, a considérablement réduit la consommation de poisson par les enfants, autant que par les adultes (si ce n’est plus).

Lors d’une entrevue avec une des femmes du site de Nangoma Landing, elle a expliqué: « Si votre mari n’est pas pêcheur, vous ne pouvez pas manger de poisson ces jours-ci. Et même lorsqu’il est pêcheur, il ne peut pas toujours avoir assez de poisson pour la vente et pour nourrir sa famille « .

Le KWDT a activement mobilisé les femmes et les enfants dans des activités de développement et a renforcé leur rôle dans le rétablissement des stocks halieutiques, ainsi que dans la réduction de la pression sur le secteur de la pêche en soutenant des activités de femmes dans diverses activités génératrices de revenus. La meilleure façon de garantir le droit des enfants à la consommation de poisson est d’assurer l’accès à la pêche pour les femmes et les communautés locales.

Encadré 3

Sem-Terrinha »: Mouvement Bresilien des Travailleurs sans Terre, enfants et Souveraineté Alimentaire

Né il y a 34 ans, le Mouvement des travailleurs sans terre (MST) au Brésil est organisé autour de trois objectifs principaux: les luttes pour la terre, la réforme agraire et pour le socialisme. Nous sommes organisés en plusieurs fronts d’action, à savoir la production, la santé, la jeunesse, la culture, l’éducation, les droits humains.

Nos enfants, que nous appelons les «Sem-Terrinha» (les enfants sans terre), participent à notre organisation depuis ses débuts, en ayant été activement impliqués dès les premières occupations de terres, étant donné que nous croyons que tout le monde doit être impliqué dans les luttes collectives.

Cette conception a conduit le MST à développer au fil du temps des activités spécialement centrées sur les enfants. Quelques exemples: les «cirandas» pour enfants (espaces pédagogiques pour le développement et les soins); organisation de réunions des « Sem-Terrinha », de visites sur le terrain des luttes organisées par les élèves des écoles rurales, ou encore la publication du journal « Sem-Terrinha » et le magazine « Sem Terrinha ».

Notre expérience la plus récente avec les « Sem Terrinha » a été un voyage culturel sur le thème « Manger sainement: un droit pour tous ». Ce voyage a eu lieu en 2015 et est au cœur du débat sur la réforme agraire pour les peuples. Il a mobilisé des enfants et des adolescents élèves des écoles rurales et des écoles des campements à travers tout le pays. Les principaux objectifs de ce voyage étaient:

1. Renforcer et diffuser la diversité des expériences vécues dans les différentes régions autour des thématiques de l’alimentation saine et de ses relations avec la réforme agraire populaire;
2. Travailler avec les familles sur la question de l’alimentation et de la production alimentaire tant dans les villages que les campements;
3. Contribuer à l’éducation alimentaire des familles sans terre et à la lutte générale pour le droit à une nourriture adéquate, exempte de pesticides;
4. Renforcer les initiatives de réorganisation de l’alimentation scolaire;
5. Étudier et débattre des relations entre une alimentation saine, la souveraineté alimentaire, l’agroécologie, l’agriculture paysanne et la réforme agraire populaire;
6. Introduire, dans les écoles élémentaires, le débat sur l’agroécologie et sur les pratiques de l’agriculture écologique;
7. Reprendre le débat sur la manière de garantir que le lien entre l’éducation, le travail socialement productif et le contenu éducatif est rétabli et maintenu.

Pendant le voyage, des centaines d’activités ont été menées à travers le pays, allant d’études spécifiques sur les habitudes alimentaires et l’histoire des aliments, la compréhension de ce qui est produit dans les villages et campements, la recherche sur les agroécosystèmes, des ateliers de cuisine locale, la découverte des pratiques de terrain et d’expériences dans le domaine de l’agroécologie.

Les éléments fondateurs des luttes du MST étaient également présents lors des activités du voyage: interventions théâtrales, campagnes de sensibilisation, auditions publiques, marches visant à dénoncer l’utilisation des pesticides et des semences transgéniques ou encore initiatives de lutte contre les monopoles et la standardisation alimentaire imposés par les sociétés transnationales et l’agro-industrie.

Lors du voyage, nous avons pu constater des changements majeurs dans les écoles où les débats avaient été organisés: abolition de l’utilisation de boissons gazeuses et d’aliments transformés dans les repas scolaires, introduction d’aliments agroécologiques produits localement dans les menus des cantines, création de jardins potagers scolaires pour approvisionner les écoles ou encore la mise en place de banques de semences autochtones.

Il faut éduquer les enfants au fait que manger est un acte politique! C’est un grand défi qui motive nos luttes! Combattons ensemble et construisons la réforme agraire populaire!

Encadré 4

« SATU PO IMPARAI » * (Apprendre dans les champs)
Projet d’éducation rurale pour l’environnemental et alimentaire rurale

Ce projet a été fondé en 2007 pour rapprocher le monde scolaire et le monde rural tout en valorisant le rôle multifonctionnel des fermes. Au niveau des fermes, il visait également à renforcer leur rôle dans la transmission des connaissances, du patrimoine et des saveurs de la production alimentaire locale tout en insistant sur la durabilité environnementale, sociale et économique.

Les trois actions principales sont: les sorties scolaires dans les fermes pédagogiques, le développement de réseaux de fermes pédagogiques et les actions dans les cantines scolaires, dont nous parlerons ici.

Les acteurs de cette action sont la Province du Medio Campidano, l’Agence Régionale de Laore Sardinia, le bureau de santé local, les écoles, les fermes, les directeurs des cantines scolaires et les associations concernées qui ont créé un groupe de travail en 2011 avec le programme de travail suivant:

1. Analyse de la situation actuelle des cantines scolaires;
2. Élaboration d’un document d’appel d’offres public pour des repas scolaires de qualité et durables, en circuit ultra-court (0 Km);
3. Distribution du dossier d’appel d’offres aux collectivités locales, suivi du service de cantine scolaire selon le document et expérimentation de nouvelles pratiques.

Le document d’appel d’offres a été élaboré en juin 2011 et envoyé aux 24 conseils locaux de la province qui offrent des services de cantine scolaire. Le document contenait les propositions suivantes pour un cahier des charges:

1. 70% des produits doivent être de qualité certifiée (Appelation d’origine certifiée, Indication d’origine géographique protégée, Agrobio), être des aliments traditionnels produits localement et issus d’une chaîne d’approvisionnement en circuit court. Un minimum de 30% des produits doivent provenir de l’agriculture biologique certifiée;
2. Les en-cas doivent être fabriqués à partir de produits locaux;
3. Un plan d’éducation alimentaire doit être développé;
4. Autres éléments de la durabilité environnementale: prise en compte des réseaux d’eau, la vaisselle jetable et les couverts doivent être biodégradables et compostables, utilisation de détergents et de savons écologiques, utilisation d’appareils économes en énergie, gestion des déchets.

Le cahier des charges a été approuvé et adopté par trois conseils en 2011 et adopté par la majorité des autres conseils en 2012 et 2013.
À la lumière du suivi qui en a été réalisé et des avis favorables reçus par l’opinion publique, nous pouvons dire que le projet (qui a donné lieu à une publication en 2015) a pleinement atteint ses objectifs bien au-delà de nos plus hautes attentes.

Le projet a apporté une « valeur sociale » à l’alimentation, en encourageant des relations positives au sein de la communauté et en renforçant la prise de conscience entre les producteurs et les consommateurs. Il a également permis de lancer une discussion sur la question de «l’éducation alimentaire» mais aussi sur les questions d’égalité (une alimentation scolaire de qualité pour tous), et plus largement sur la souveraineté alimentaire.

Sous les feux de la rampe

La place de la nutrition infantile dans la souveraineté alimentaire

Dans notre travail politique de sensibilisation, d’éducation et de mobilisation pour la souveraineté alimentaire, quelle importance accordons-nous à la question de l’alimentation de nos filles et fils autour de nous? S’agit-il d’une question mineure qui n’intéresse que les mères de famille? Nous proposons ci-dessous quelques réflexions sur les raisons pour lesquelles le thème de la nutrition de nos enfants et leur participation active à notre mouvement est vital pour l’avenir de la souveraineté alimentaire.

De la malnutrition à l’obésité infantile – quel est le discours dominant?

Le discours public sur la nutrition et l’enfance a été dominé par une approche médico-scientifique: pendant des décennies, la principale préoccupation a été la dénutrition, de sorte que le débat a principalement tourné autour des mesures anthropométriques telles que les statistiques sur l’indice de poids pour l’âge, l’indice de taille pour l’âge et la carence en vitamines. Ces derniers temps, c’est le taux de surcharge pondérale qui a commencé à attirer l’attention du public en raison de sa hausse spectaculaire. Le dernier rapport SOFIde la FAO sur L’État de l’insécurité alimentaire dans le mondeindique que, bien que les taux de malnutrition continuent à diminuer, le taux de surpoids continue d’augmenter. La question de l’obésité infantile est donc susceptible de devenir une question prioritaire à l’ordre du jour des politiques des agences internationales.

L’obésité et la surcharge pondérale étaient souvent considérées comme des problèmes dans les pays à revenus élevés. Toutefois, la prévalence de ces troubles augmente dans les pays à revenu faible et intermédiaire, principalement dans les zones urbaines. En Afrique, le nombre de filles en surpoids et obèses a doublé, passant de 5,4 millions en 1990 à 10,6 millions en 2014. En 2014, environ la moitié des filles en surpoids provenaient d’Asie, alors qu’au Mexique, on estime qu’environ 30 % des filles sont en surpoids.

Quels sont les facteurs qui expliquent cette pandémie? Il existe différentes approches. D’une part, les institutions et agences internationales propagent une approche individualiste et moraliste qui reproche subtilement aux familles de ne pas bien nourrir les enfants et de les laisser regarder la télévision ou Internet toute la journée au lieu de faire du sport. Dans ce discours, le mode de vie urbain, avec son organisation de la journée, ses types de travail et ses relations sociales, change les habitudes alimentaires pour leur substituer des habitudes plus modernes, engendrées par un soi-disant développement. La solution proposée par cette approche consiste à mieux informer et éduquer les consommateurs afin qu’ils fassent des choix alimentaires plus sains dans les rayons des supermarchés et à les encourager à faire de l’exercice.

La géopolitique du régime « occidental »

Évidemment, cette approche ne s’interroge pas sur les déterminants historiques, politiques, socio-économiques et culturels qui conditionnent le type d’aliments produits ni sur les facteurs qui façonnent les habitudes alimentaires des communautés. C’est une approche qui ignore les relations de pouvoir, l’oppression et la discrimination. Elle ne demande pas qui a décidé et comment a été imposé au monde entier le régime alimentaire urbain ou « occidental », riche en graisses, sucres, glucides raffinés, viande et produits animaux mais pauvre en légumes, légumineuses et céréales secondaires. L’augmentation de la consommation de ces produits est étroitement liée aux politiques agricoles menées par les grandes puissances agricoles mondiales. Ces politiques ont instauré une série d’incitations (subventions à la production, recherche publique, aides à l’exportation) qui ont conduit à concentrer la production sur les céréales de base (blé, maïs, riz) ainsi que les oléagineux. D’autre part, la libéralisation du commerce des produits agroalimentaires et de la pêche, ainsi que la promotion des investissements étrangers dans l’ensemble de la chaîne alimentaire, ont joué un rôle central dans l’expansion des sociétés transnationales tout au long de la chaîne alimentaire. C’est grâce à ce système alimentaire mondial que le régime alimentaire composé de « malbouffe » ou d’aliments comestibles ultra-transformés – comme les frites de pommes de terre, les pâtes blanches, les hamburgers et les boissons sucrées – a pu se propager à aussi grande vitesse à travers le monde.

Le régime alimentaire « occidental » ne s’est pas seulement imposé à travers des facteurs physiques comme la géopolitique et l’économie. Il a également besoin d’une superstructure culturelle qui lui permet de modifier les mentalités et donc changer les habitudes alimentaires et culturelles afin de les rendre favorables au système alimentaire agro-industriel. Il suffit de voir les publicités agressives des grandes entreprises dont le but est de capter l’attention des enfants et des jeunes afin former leurs goûts et leurs habitudes alimentaires dès leur plus jeune âge. Cela est illustré par le tableau ci-dessous sur la situation en Colombie.

Les cantines scolaires et l’agriculture paysanne

Jusqu’à présent, le principal point de rencontre entre la nutrition infantile et la souveraineté alimentaire a été les cantines scolaires et les politiques publiques de promotion de l’agriculture paysanne. Les programmes publics d’alimentation scolaire font partie de la politique sociale dans plusieurs pays du monde. Bien que ces programmes se soient avérés avoir un effet positif tant sur la régularité de la fréquentation scolaire que sur l’amélioration de l’état nutritionnel, sa couverture reste relativement faible et est estimée à 15 % de la population enfantine. Des pays comme l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud ont d’importants programmes d’alimentation scolaire. Dans le cas du Brésil, la politique publique d’alimentation scolaire vise à garantir le droit des élèves à une alimentation saine et, pour cette raison, elle a été conçue dans le cadre de la politique publique d’encouragement à l’agriculture paysanne locale en établissant un quota obligatoire pour la fourniture à chaque école d’au moins 30 % d’aliments provenant de l’agriculture paysanne. Des systèmes similaires existent au niveau municipal en Europe et aux États-Unis. Voir ci-dessous l’expérience sur l’île méditerranéenne de Sardaigne.

Le sens de l’alimentation infantile

Une alimentation saine et nutritive est essentielle au bon développement et à la croissance des enfants dès leur gestation. C’est peut-être à ce stade de la vie que l’alimentation est la plus importante dans la vie des êtres humains: non seulement elle jette les bases de tout développement physique et spirituel ultérieur, mais elle donne du goût, de l’arôme, de la saveur, de la couleur et de la texture aux liens les plus profonds qui nous relient, via l’alimentation à nos familles et nos communautés, ainsi qu’à notre pays natal.

Malgré ce sens transcendantal, le mouvement pour la souveraineté alimentaire n’a que peu réfléchi sur la question de la nutrition des enfants. Est-ce que c’est parce que ce thème est perçu comme ne faisant pas partie de la sphère traditionnelle « masculine » et de pouvoir mais plutôt rattaché aux domaines associés à la question de la féminité et de la reproduction/charge d’enfants?

Le fait est que l’interprétation de cette dimension de l’alimentation est entre les mains des institutions et des professionnels de la santé. Plus récemment, l’alimentation et la nutrition sont devenus les domaines privilégiés « d’investissement » des grandes initiatives de nutrition venus du milieu de l’entreprise, comme par exemple la Fondation Gates.

Plusieurs questions se posent alors: quelle est notre compréhension de la nutrition infantile dans une perspective de souveraineté alimentaire? Comment construire cette perspective dans le dialogue avec les enfants eux-mêmes, avec les enseignants, les cuisiniers, les agriculteurs, les vendeurs, les sages-femmes, les éducateurs de santé et autres responsables de nos pratiques alimentaires et de santé communautaire? Comment aborder entre mères et pères une répartition équitable des soins génésiques pour nourrir nos enfants de façon saine et nutritive? Au sein de notre mouvement, il est temps de donner à la nutrition infantile l’importance qu’elle mérite.

Bulletin n° 33 – Éditorial

Les enfants et la souveraineté alimentaire

Nous sommes conscients que la réalisation d’un monde dans lequel la souveraineté alimentaire des peuples sera devenu une réalité exige que – en plus des luttes sociales et des mobilisations populaires – soient menées des discussions approfondies sur les systèmes alimentaires, sur les questions d’accès et de contrôle des ressources naturelles ainsi que des débats politiques et juridiques sur les questions de genre et sur les semences,. Mais il existe un autre élément essentiel dans ces luttes – et dont l’importance est progressivement entrain d’attirer l’attention des différents acteurs des mouvements – c’est le rôle que jouent les enfants dans la réalisation de la souveraineté alimentaire.

L’avenir des luttes pour la réalisation de la souveraineté alimentaire et du droit à l’alimentation dépend de la manière dont nos enfants prendront conscience des défis posés par la façon dont nous produisons notre nourriture mais aussi des questions de « par qui » et « pour qui » l’alimentation est produite. Au lieu de faire comme les grandes entreprises agroalimentaires qui ne considèrent les enfants que comme une niche de marché, il faut prendre conscience que les jeunes générations forment la base de la transformation de nos systèmes alimentaires. Les cas présentés dans la présente édition de notre bulletin vous présentent des exemples à travers le monde de cette implication des jeunes générations dans la lutte pour le droit à l’alimentation.

De nombreux enfant ont également partagé des dessins et des témoignages avec nous, pour nous parler directement de leurs perceptions et de leurs expériences. Ces nombreux dessins, images et témoignages d’enfants d’Équateur, des Philippines, de Colombie ou encore d’Espagne, nous inspirent et apportent de l’espoir dans les nombreuses luttes populaires pour le droit à l’alimentation et à la souveraineté alimentaire.

FIAN International